Catherine Dufour - L'accroissement mathématique du plaisir

Publié le par Lukas

Accroissement-mathematique-du-plaisir.jpg

 

 

Après avoir joyeusement dynamité le terrain de la fantasy française (Quand les Dieux buvaient) et avoir révélé à ses lecteurs un côté résolument plus sombre et torturé en explorant l’univers de la SF (Le Goût de l’immortalité), Catherine DUFOUR nous revient en cette rentrée 2008 avec un recueil de vingt nouvelles publiées chez LE BELIAL. Inutile de dire que pour les fans à la dent dure qui la suivent depuis ses prémices, l’attente fût longue…  

            Est-elle récompensée ?

 

 

            Plusieurs personnalités cohabitent chez madame Dufour. Il y a l’auteure aux longues griffes tranchantes, à la punk attitude, nourrie au lait littéraire d’un Terry PRATCHETT et d’un Douglas ADAMS, qui, lorsqu’elle lâche bride à son imagination corrosive, se plaît à désincarcérer les mythes de leur robe de mousseline trop étriquée… Illustration pratique avec son premier roman, fortement ancré dans la grande loufoquerie addictive : Blanche-neige et les lance-missiles. Il y a aussi, une Catherine DUFOUR plus sombre, plus tourmentée, qui s’est révélée à ses lecteurs par l’entremise de sa première excursion sur les terres de la SF avec Le Goût de l’immortalité. Il y encore une Catherine DUFOUR tout imprégnée d’un lourd patrimoine littéraire qui plonge ses racines dans les romans français du XVIII et XIX siècles et se déploie sous l’ombre vaporeuse de l’école fantastique (Nodier, Gauthier, Maupassant). Une Catherine DUFOUR profondément humaine aussi, qui n’hésite pas à puiser dans le sulfure de son vécu pour injecter du réel, parfois saignant, parfois attendrissant, mais toujours consistant, dans les organes de son oeuvre… Et il y a encore, à n’en pas douter, beaucoup, beaucoup d’autres visages qu’elle nous réserve pour la suite, et qu’elle dissimule, en attendant, sous le verni de son sourire acidulé et de ses grands yeux pétillants d’espièglerie… L’accroissement mathématique du plaisir rend parfaitement compte de ce polymorphisme littéraire… Et c’est ce qui frappe en premier lieu à sa lecture… Car peut-être, si l’on est un peu naïf, et qu’on ne connaît pas forcément la pluralité de ces antécédents, pourrions-nous être surpris à l’entame de l’Accroissement mathématique du plaisir par cette diversité de registres affichée sans complexe et qui s’accorde à une diversité de tons d’autant plus déstabilisante (quel faussé entre un Cygne de Bukowsky et un Rhume des foins !!!). A ce titre, on se doit de féliciter la pertinence des éditions LE BELIAL, qui ont préférées mettre de côté une classification chronologique des textes au bénéfice d’une tentative de présentation par genres, ou du moins, par affinités.  

           

            C’est ainsi que l’on pourrait rattacher les sept premières nouvelles de ce recueil au wagon d’un fantastique à la définition élargie : appropriation contemporaine (avec Je ne suis pas une légende : réécriture tout humaine du fameux roman de MATHESON ; ou encore l’Immaculée conception, indéniable réussite du recueil : une plongée psychopathe boursouflée de peurs primales, vision ensanglantée de l’acte d’enfanter à la croisée d’un Rosemary’s Baby d’Ira LEVIN et d’un Brain Dead de Peter JACKSON…) ; mais aussi, respect le plus strict du genre (Vergiss Mein Nicht, Rhume des foins, Le jardin de Charlith, Confession d’un Mort…qui entretiennent ce jeu sur l’ambiguïté, sur les frontières séparant le réel du surnaturel et qui, de ce fait, n’ont rien à envier aux textes d’un GAUTIER ou d’un MAUPASSANT) ; certaines nouvelles confinant même à l’exercice de style (Confession d’un mort, en hommage à Edgar Allan POE ; mais aussi Rhume des foins dans lequel on verrait bien, et incarnant la figure du narrateur en proie à des visions hallucinées, un subtil mélange de PROUST, fébrile et asthmatique, et d’un BAUDELAIRE groggy et languide…).

            Aux côtés de ce registre fantastique apparaît bientôt un autre genre, plus fermement ancré dans le macadam d’une réalité contemporaine. Deux nouvelles sont ainsi directement inspirées de l’expérience de l’écrivain : il s’agit de Valaam et du Cygne de Bukowsky, la première dénonçant la philanthropie naïve d’une narratrice se heurtant aux durs barreaux de la société russe ; la seconde rapportant les pérégrinations d’une jeune fille baroudeuse partie explorer les Etats-Unis dans une sorte de Road-movie décontracté. Le troisième texte, Kurt Cobain contre Docteur No, se veut un habile et émouvant hommage au père du Grunge disparu trop tôt ainsi qu’à toutes ces autres figures mythiques ayant contribué à bâtir le Rock…

            Aux détours de ces nouvelles, on aborde quelques textes évoluant sous l’égide du merveilleux, un registre que l’on pourrait qualifier de « conte » : Le sourire cruel des trois petits cochons, magnifique révérence à l’imaginaire de l’enfance, là encore passée à la moulinette de l’iconoclasme le plus virulent ; Matter clomorosum : poignante tentative d’illustrer les propos d’une chanson populaire bretonne ; La Perruque du juge, ou lorsque Peter Pan et le Petit Prince rencontrent Michael Jackson ; puis Le poème au carré, où Alice et les Beatles mâtinés sauce champignons toxiques ne sont pas sans évoquer au lecteur les reflets lointains d’un Leçons du monde fluctuant par l’hommage commun qu’ils rendent à un Lewis CAROLL décidemment au centre de l’intérêt de plus d’un écrivain…

            Sur les vingt nouvelles constituant le recueil, une seule se range sous la bannière de la Fantasy. Il s’agit d’Une Troll d’histoire. Un pur régal loufoque, bourré à craquer comme un tonneau de bière d’un humour pétulant et revigorant, au ton aussi savoureux que débridé, et qui nous promet une franche tranche de rigolade. En guise de mise en bouche, et in texto : « Quand un troll qui a fin rencontre un pougnard qui a très fin, ça fait un pougnard tout seul qui n’a plus faim » (P274).

Il faut attendre les cinq derniers textes du recueil pour s’enfoncer dans un univers résolument SF : L’accroissement mathématique du plaisir revisite la Vénus de MILO, format aliénant. Deux nouvelles à chute : La liste des souffrances autorisées, et L’amour au temps de l’hormonothérapie génique, puis Un soleil fauve sur l’oreiller, tendre exploration des relations mère/fils au goût amer de mélancolie et de lucidité. Enfin, clou du spectacle, Mémoires mortes, dont la gravité de ton n’est pas sans rappeler l’univers sclérosé développé dans le Goût de l’immortalité. Un dernier texte tout en profondeur, qu’on sent là encore inspiré par un puissant fluide tiré du réel, interaction qui apporte, comme à la majorité des textes composant ce recueil, une épaisseur, une consistance qui fait toute la différence…  

           

Au-delà de cette diversité de registres et de tons, le lecteur sourcilleux, et en mal d’ordonnancement, pourra trouver quelques fils conducteurs, quelques relations souterraines se déployant entre certains textes : à la fascination que l’écrivain expose pour l’art picturale (La lumière des elfes), répond un attrait pour la sculpture (L’accroissement mathématique du plaisir), et aussi pour la musique (Kurt Cobain contre Docteur No)… Mieux ! Le présent recueil nous soumet le témoignage littéraire d’une évolution émouvante de l’auteure en tant que femme : c’est ainsi qu’à la phobie psychotique dont vibre l’Immaculée conception – sorte de cathartique impulsive, violente, mais nécessaire – répond un Soleil fauve sur l’oreiller plus mâture, plus calme, et éminemment plus attendrissant, où ici, le regard de l’écrivain (en tant que mère cette fois !), et comme assagi par quelques années, réhabilite la beauté de la vie par le biais d’une analyse de la relation mère / fils des plus humaines, qui ne peut qu’éveiller un écho sensible chez le lecteur…

 

A ce stade, qu’ajouter ? Allez. Cherchons la petite bête, pour tempérer ce panégyrique. S’il y avait une seule chose à reprocher à ce présent recueil, ce serait son titre, qui ne met définitivement pas en lumière la nature de son contenu affichant une tonalité résolument plus sombre, plus introvertie, et plus tourmentée que la joyeuse perspective qu’il laisse présager. Mais ce défaut est rendu tout acceptable par les éditions LE BELIAL qui nous offrent, en guise de compensation, une annexe des plus fournies. Jugez plutôt : un long entretien avec l’écrivain, orchestré par Richard COMBALLOT, et qui permet d’en apprendre beaucoup sur sa personnalité, son passé, ses influences… Puis, agrément final, une intervention de l’auteure elle-même qui gratifie ses lecteurs d’un éclairage tout personnel et ludique au possible sur la majorité de ses nouvelles ici publiées.

Et le fan avide, comme le lecteur comblé, de dévorer tout cela comme du pain béni…

 

           

A l’heure de la sinistrose, vicieuse pathologie qui gangrène les peuples à l’aube d’un millénaire trouble, L’accroissement mathématique du plaisir tombe comme une bénédiction. Il promet aux lecteurs de tous horizons vingt expériences brillantes, dans toutes les dimensions ce cette acception. Des textes tour à tour drôles, émouvants, bigarrés, effrayants, lucides, interrogateurs, violemment réels, voluptueusement rêveurs… Une kyrielle d’émotions pour une pluralité de registres et une diversité de tons, le tout pétri d’humanité et frappé au coin d’une volonté iconoclaste qui n’est pas sans laisser transparaître une réelle érudition… Et puis cette plume, toujours… Qui apporte au tout sa cohérence.

            En un mot : indispensable.

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article