Le chant secret du monde
Ecoute, belle, le lointain bruit du ciel
Ces sons mystérieux qui coulent du silence
Qui s’épanchent, sinueux, jusqu’à nos oreilles
A peine perceptibles, et pourtant si denses :
La plainte des nuages, le cri du soleil,
Le soupir des étoiles quand l’aube s’éveille.
Ecoute, mon ange, le chant de la nature
Au petit matin frais, lorsque le jour renaît :
Frisson de l’herbe grasse coiffant les pâtures
Rire taquin du vent sifflant dans les remblais
Et le froufroutement des arbres solennels
Qui bordent les champs d’or comme des sentinelles,
Et qui jettent, teigneux, sur l’argent des rivières
Les sourcils broussailleux de leur ombre sévère…
Ma mie, entends-tu, de tout là-bas, si distant,
La respiration de l’océan si vaste
Ce grand poumon marin aux courants enlaçant
Ses marées revenues, ses incessants ressacs
Le tangage liquide de ses longues vagues
Lapant les noirs galets d’une petite plage,
Et ses crêtes d’écume investissant les dunes
D’une crique oubliée jalousée par la lune ?
Perçois-tu, ma tendre, le son des corps qui tremblent
Dans la torpeur moitie de l’ombre d’une chambre
Le râle des amants de nouveau réunis
Qui s’épuisent d’amour jusqu’au creux de la nuit
Les perles de sueur roulant sur leurs peaux nues
Les lèvres se scellant en baisers éperdus
Tandis que dans la flamme de leur passion
Se consument les vestiges de leur raison ?
Entends-tu, ma douce, l’inaudible complainte
De ces cris intérieurs qui martèlent les cœurs
De ces hurlements tus tout gorgés de douleurs,
Qui grincent silencieux, tel le bruit d’une plinthe
Ces grouillements secrets et gardés enfermés
Dans le secret coffret de notre intégrité.
Les sanglots anonymes du monde qui souffre
Ces roulis de fureur, les entends-tu, ma douce ?
Si l’on pouvait saisir la somme de ces sons
Ces galaxies sonores, ces constellations
Qui dansent à l’aurore de nos perceptions ;
Si l’on était capable dans ces assonances
De déchiffrer la trame de correspondances ;
De lourdes vérités s’ouvriraient à nos sens
En s’imposant à nous comme des évidences.
Et sans le moindre doute nous serions grandis
En écoutant ce chant : le chant de la vraie vie.
31 / 03 / 2011