Catherine Dufour - Le goût de l'immortalité

Publié le par Lukas

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            On me l’avait conseillé, ce roman. Et de manière plutôt élogieuse. Faut dire aussi qu’il est tout enveloppé d’une jolie ribambelle de prix, alors ça rassure (un peu) quant à sa qualité. Toujours avide de découvrir les futurs gardiens de notre langue natale qui accostent les terres de l’imaginaire – dernièrement, une revigorante découverte avec Mr NOIREZ –, je ne pouvais pas passer à côté de l’œuvre de Catherine Dufour. C’est chose faite, avec Le goût de l’immortalité.

            Bilan ? Verdict ? Sentence ?

            …Et bien mitigé. La lecture du roman ne m’a pas laissé indifférent, loin sans faut. Mais en lieu et place de laisser derrière lui le goût d’immortalité promis par son incipit, c’est plutôt une légère touche de frustration qu’il a abandonné…

            Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ?

            Je vais tenter d’éclaircir, toujours en essayant d’être constructif.

            La première chose qui frappe, c’est le style. Richesse des images et métaphores ponctuées d’aphorismes ciselés : c’est dynamique et vraiment agréable à lire. Bref, ça ouvre de grandes promesses quant au récit à venir.

La narration à la première personne possède cet avantage de happer illico le lecteur dans le récit, puisqu’on s’identifie tout de suite au narrateur. Paradoxalement, ce choix qui apparaît de prime abord comme une qualité, se révèle aussi, à mon sens, un défaut. Mais je développerai.

L’univers mis en scène… C’est glauque. Franchement pas propre. Violent et sombre. Tourmenté. Malsain. Les références : j’ai pensé à Gibson (la Conurb de Neuromancien n’est pas bien loin) ainsi qu’à Neal Stephenson (Le samouraï virtuel). Pollution, foules grouillantes et bigarrées, brassage des cultures, et surtout, l’importance du « réseau » qui relie chaque individu, remplaçant la réalité concrète et malodorante. On pense aussi aux Nomades urbaines de papa Silberberg, pour ces hautes tours aux étages respectant une certaine hiérarchie.

            Les personnages sont charismatiques dans le sens qu’ils possèdent tous un trait de caractère (ou une particularité physique) accusé, marqué. La narratrice, atrophiée, affublée d’une éternelle jeunesse ; Cmanic, qui tient le rôle du grand sensible en proie aux affres de l’incertitude ; Shi, le type costaud sur lequel on peut compter ; Cheng, l’artiste de service. Les méchants ne sont pas en reste : si le personnage d’Iasmitine en sorcière anachronique ne m’a pas convaincu, le personnage de Path, quant à lui, est une absolue réussite : sa cruauté et son imprévisibilité fascinent autant que son inébranlable force de caractère et sa volonté de domination… Pour moi, il justifie à lui seul la lecture du roman.

            Attelons-nous aux écueils…

            J’ai tout d’abord trébuché sur la rupture brutale du registre qui intervient vers le milieu du roman (P145). Depuis les premières pages, le récit s’ancre dans une SF vraiment assumée, plausible et cohérente. Puis, d’un seul coup, l’action abandonne le cadre SF pour arpenter des sentiers qui lorgnent plus volontiers du côté d’un fantastique « jeune public » : émergence, par le biais du personnage d’Iasmitine, du champ lexical des « morts-vivants » : « zombies » (P150), « démons » (P158), « fantômes » (P147), « sorcière ». Cette collision de registres se répercute sur le style, puisque ce dernier s’appauvrit brusquement… Une irruption soudaine qui aboutit donc à un mariage pas forcément heureux.

  Autre barrière : la construction narrative, qui ne nous fait pas sentir à l’aise dans nos bottes… On a un peu mal aux pieds, à mesure qu’on avance dans la lecture. Le choix du genre « épistolaire » et de la narration à la première personne, même s’il se veut peut-être un clin d’œil ou une forme d’hommage aux romans fantastiques emblématiques (Frankenstein, Dracula) et qu’il renforce incontestablement l’impact des faits rapportés en nous en réduisant la distance, n’est pas forcément judicieux pour exposer un point de vue qui se veut en fin de compte omniscient… C’est ainsi que la multiplication des personnages, passés les deux tiers du roman, m’est apparue comme envahissante. Elle fait souffrir le récit d’un aspect décousu qui demeure cependant superficiel : lorsqu’on prend un peu de recul par rapport au texte, on distingue en effet très nettement trois récits qui exposent chacun des lieux et des personnages différents : le récit de la narratrice (dans la tour de Ha Rebin), le récit de Shi et Cmanic (en Polynésie), le récit de Cheng (dans la Suburb). Une construction qui me rappelle un peu celle employée par Dan Simmons dans ses deux premiers volumes d’Hyperion, avec chacun des pèlerins exposant son passé, son vécu : autant d’illustrations, d’éclairages individuels qui permettent de brosser, par un jeu de contrepoint narratif, l’arrière plan, le décor de l’action. La construction du Goût de l’immortalité respecte donc une symétrie certaine, mais le choix narratif ne permet pas de la mettre en valeur…

Voilà. On n’est vraiment pas passé loin du chef-d’œuvre, à mon sens. C’est plein d’idées, de références, d’intelligence (j’ai adoré la théorie sur les « éléments hétérogènes » comme producteurs de dynamique (P93-94). Notion que l’auteur illustre in texto au cours de la rencontre charnelle de Cheng et de Shi dans l’arène des Refugee : leurs premiers ébats amoureux dans un décor d’horreur, de violence et de chaos. La force des contrastes comme générateur de rêve…). Certains passages demeurent inoubliables (en tête : le récit de Cheng, dans la Suburb)… Bref, une première excursion dans la sphère SF qui ouvre de belles perspectives.

 

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