David Gemmell - Légende

Publié le par Lukas

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            Battez tambours de guerre et sonnez trompettes. N’entendez-vous pas, dans le lointain crépuscule, le bruit régulier de milliers de pas accordés qui font trembler la terre sous leurs lourdes semelles, marquant de leur cadence l’inexorabilité de leur avancée ? C’est une armée de 500 000 guerriers, tout emplis de soif de combats et de sang. Ils sont dressés comme un seul homme autour de leur tout puissant chef, et ils avancent, marée humaine, vers leur ultime bataille, animés d’une résolution tenace que rien ne semble pouvoir ébranler… Ils avancent vers la forteresse de Dros Delnoch, dernier bastion à s’opposer à leur terrible volonté de conquête. Et derrière eux, la terre est gorgée du sang de leurs massacres, et le ciel est noir de la fumée des villages qu’ils ont incendié.

            Territoire bien connu que celui de la Fantasy pour ceux d’entre vous qui ont été marqué du sceau de l’œuvre de Tolkien, d’Eddings and Co, au travers de ces grandes et flamboyantes épopées qu’il est difficile de lâcher une fois entamées ; ces longs périples pleins de merveilles et de batailles dans lesquels on s’embarque avec le plaisir de savoir qu’ils égayeront les froides soirées de nos semaines à venir. Gemmell, par l’entremise de ce premier roman, explore ce vaste continent ouvert sur l’imaginaire avec l’excitation et le débordement juvénile propre aux premiers ébats. Et le lecteur d’en redemander.

 

           

C’est parce qu’Ulric est un dirigeant-né et un guerrier au caractère trempé dans l’acier froid de sa lame qu’il a réussi à unifier les peuples nadir de son nord natal jusqu’alors en proie aux luttes de clans et autres discordes intestines. Rassemblée autour de ce chef emblématique, une armée immense, se comptant en millions d’unités, déferle bientôt sur le territoire drenaï. Sa progression est aussi dévastatrice qu’inéluctable : là où les troupes d’Ulric rencontrent résistance, ne reste plus que cendres, corps démembrés, et quelques malheureux survivants abandonnés en guise de témoins pour alimenter la légende de ce prince destructeur. La réputation d’Ulric précède ainsi sa venue, entretenant une intimidation insidieuse qui sape systématiquement le moral des futurs belligérants. Beaux rouages que ceux de la guerre. Les unes à la suite des autres, et en dépit de moult tentatives de conciliation et de négociations diplomatiques, les terres drenaï sombrent sous la bannière nadir au rythme d’une alarmante régularité.

            Tout est-il perdu pour le peuple drenaï ?

            Non. Car c’est sans compter sur deux figures mythiques. Une toute humaine, en chair, en os et en muscles ; une autre, millénaire, tout en pierres, en créneaux et en murailles.

La première, c’est celle de Druss. Guerrier de légende, combattant féroce aux talents surhumains ayant croisé le fer aux côtés des plus grands et semblant défier la mort, du haut de ses soixante années bien tassées, avec une insolence d’immortel.

            La seconde, c’est celle de Dros Delnoch. Haute forteresse qui se pose comme un passage obligé pour l’armée conquérante d’Ulric puisqu’elle protège la seule passe montagneuse s’ouvrant sur le reste du territoire drenaï. Taillé dans les blocs de pierres les plus massifs, entouré de six murailles concentriques de plusieurs mètres d’épaisseur, ce bastion inexpugnable n’est jusqu’à présent jamais tombé entre les mains de ses assaillants.

            L’issu du siège qui se monte devant Dros Delnoch semble néanmoins écrit d’avance : un demi million de barbares dirigés par un chef qui ne connaît pas la défaite, contre une garnison de quelques milliers d’hommes, pour la plupart fermiers et paysans, piètres combattants, que seul la fierté de servir sous les ordres d’un héros tel que Druss semble encore motiver…

Et pourtant… Et pourtant…

 

 

On s’embarque donc pour cinq cent pages traversées d’un souffle épique et guerrier pour le moins décoiffant. Impossible en effet de ne pas être saisi par le rythme palpitant qui conduit l’action, d’être happé dans les courants d’un récit qui ne souffre presque d’aucun temps morts et au sein duquel les cris de guerres répondent aux martèlement métalliques incessants des armes. Si la première partie du roman prend le temps de mettre en place chacun des protagonistes – dont Druss, en héros maous costaud, n’est certes pas la seule figure charismatique –, la seconde partie est exclusivement consacrée au siège acharné de Dros Delnoch et aux impitoyables et sanglants combats qui opposent les deux armées.

Gemmell connaît parfaitement les codes du genre et les met en oeuvre avec un talent certain. Les personnages qui arpentent Légende sont aussi nombreux que bigarrés, et ils possèdent tous un trait de caractère accusé, charme certain auquel le lecteur est forcé de succomber. Druss tient évidemment le haut du pavé. Guerrier impavide à la force prodigieuse, dont les actes de bravoure ont gravé la légende dans le marbre de l’Histoire, sa puissance et son endurance n’ont d’égal que son besoin atavique de combat. Pourtant, on est loin ici de la caricature du héros. Car sous ses devants d’irréductibilité, sous sa carapace de guerrier, Druss la légende demeure un homme qui, en dépit de toute la volonté dont il peut faire preuve, subit comme tout autre les assauts et les vicissitudes du temps qui passe… Comme un nécessaire reflet de ce mythe vivant, la figure d’Ulric – bien que moins développée, et on le regrette – est tout aussi fascinante. Et si ce n’est l’insatiable soif de conquête qui le caractérise, il ne combat pas sans une certaine noblesse morale et un respect du code de la guerre qui est très loin de le faire passer pour le barbare auquel les vaincus – et le lecteur –  l’assimilent de prime abord.

Les protagonistes que Gemmell met en scène n’arborent pas la tonalité monochrome de vulgaires calques : ils se révèlent nuancés, pour ne pas dire complexes. Certains même se réalisent sous nos yeux : c’est le cas de Rek, héros principal dont les motivations nourries au lait de la guerre vont forger la personnalité, mais aussi et surtout d’Orrin, pleutre commandant de la forteresse sur lequel on ne parierait pas un sous, homme ordinaire qui, placé dans un contexte impitoyable où les valeurs humaines se détériorent, semble sur le point de s’effondrer…mais qui ne manquera cependant de nous surprendre en déployant un potentiel que nul ne pouvait soupçonner…

Si ces personnages traversent l’Histoire en y laissant leur empreinte, l’Histoire les traverse en retour pour les transformer… Loin de modèles figés ou d’exécutants passifs, les personnages de Légende évoluent et se construisent au contact des évènements. Et c’est là l’une des grandes qualités du roman : rendre compte de cet entrelacs, de cette interpénétration pouvant exister entre les évènements et les hommes…

En sus de cette intérêt, le lecteur profite d’une  réflexion sur l’art du commandement (ou lorsque l’urgence de certaines situations légitime les alliances les plus immorales…), mais aussi sur la notion de destinée : qu’est-ce qui fait d’un homme une légende ? Sur quoi les mythes reposent-ils ? Tout cela, bien entendu, mené au rythme frénétique des assauts successifs qui s’écrasent sur les remparts de Dros Delnoch, jusqu’au bouquet final…

 

 

On ne peut qu’être impressionné devant la maîtrise dont fait preuve Gemmell au travers de cette première excursion sur les terres ensanglantées de l’heroic-fantasy. Une action qui ne s’épuise à aucun moment. Héroïsme, sacrifice, actes de bravoures, amour, tragédies, batailles épiques : tous les codes du genre sont respectés et déployés avec une heureuse aisance pour faire de Légende une lecture assurément incontournable.

 

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L
<br /> "Légende" de David Gemmell est vraiment une histoire fantastique, on découvre un nouveau monde, des personnages atypiques qui nous entrainent avec eux dans une grande bataille... c'est génial !<br /> Je viens d'ailleurs de publier mon avis sur mon blog sur ce livre...<br /> <br /> Jolie critique, je reviendrais ;)<br /> Bonne continuation !!<br /> <br /> <br />
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