Ray Bradbury - Les machines à bonheur

Publié le par Lukas

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            Petit recueil de nouvelles du vieux maître publié en 1964 et s’étant vu réédité en poche cet été, Les machines à bonheur nous propose un joli bouquet de textes brillants tant par la variété de leur univers respectif que par la touche essentiellement humaine qui les caractérise. Une bonne occasion, en somme, de prendre la mesure du talent et de l’éclectisme d’un auteur dont l’œuvre parait défier, avec une constance insolente, le passage des années.

           

 

            21 nouvelles. Pour 460 pages. Autant de voyages qui ne s’embarrassent pas des frontières de genres. Le recueil accoste en effet tantît les terres de la Science-fiction, tantût les marais du fantastique, et tantôt le roc d’une littérature plus « classique ».

            Au sommaire des textes SF : Les machines à bonheur, qui nous décline le thème de la conquête spatiale mâtinée sauce monacale ; Celui qui attend, petit texte aussi inquiétant que jouissif, et qui pourrait tout à fait s’être échappé des fameuses Chroniques Martiennes ; Vacances, excursion dans le silence et la solitude de l’homme coupé de ses semblables, sur laquelle souffle un vent mordant de mélancolie ;  Presque la fin du monde, truculente version d’un lendemain sans télévision ; et L’abîme de Chicago, très belle illustration de la nécessité du souvenir…

            Aux côtés de ces textes nous projetant quelques années en avant, sautillent de joyeuses nouvelles tout empreintes de revigorante drôlerie et qui possèdent ce charme certain de vous placarder le sourire sur la face. C’est ainsi qu’on sourit à la lecture de Tyrannausus Rex, court texte qui taille à grand coup de parodie l’excessif ego de certains producteurs hollywoodien. C’est ainsi qu’on accuse un petit sourire de connivence au contact du Meilleur des mondes possibles, où il est question de plaisirs tout…charnels, tout comme on sourcille devant La femme illustrée, incontestable réussite de ce recueil, ou lorsque le corps humain devient la toile d’un peintre qui se rêve… C’est ainsi qu’on se frotte les mains devant la complicité touchante de deux vieux chercheurs de trésors, compères de longue date liés par un sens aigu de l’éthique dans Un rare miracle d’ingéniosité. C’est ainsi, enfin, qu’on rit de bon coeur à la découverte des Sprinters de l’hymne, course effrénée au sortir de séances de cinéma qui ne sera peut-être pas pour plaire aux irlandais.

            Entre ces épisodes d’évasion et de détente, s’intercalent des textes à la tonalité plus réaliste, plus austère, plus vaporeuse. Le petite tambour de Shiloh met en scène un tout jeune soldat chargé de faire battre le cœur de son armée au cours du rude combat à venir ; Jeunes amis faites pousser des champignons est une variation dérangeante sur le thème de la folie et de l’hallucination. Dérangeantes, Ainsi mourut Riabouchinska et Un vol de corbeaux le sont tout autant, la première évoquant les liens secrets et surnaturels pouvant se tisser entre un ventriloque et sa marionnette, la seconde décrivant la lente dégradation d’un personnage convié à d’heureuses retrouvailles mais qui glisse inexorablement sur la réalité en subissant une perte progressive de ses points de repères… Deux textes prennent place dans un même décor : celui de l’Amérique latine. Il s’agit de El Dia Murte, où, à l’occasion de la fête des morts au Mexique, la Mort en question revêt bien des visages différents, et de L’œuvre de Juan Diaz, où l’amour d’une veuve pour son défunt mari se heurte à la volonté bornée d’un fossoyeur sans scrupule.

            Enfin, dans un registre plus classique, lorgnant volontiers du côté du conte, Et le marin, de retour de la mer, Certains vivent comme Lazare, La jeune fille et la mort, traitent du même sujet : l’amour unissant deux êtres, dans la vie et au-delà. Le mendiant de O’Connell Bridge, quant à lui, joue sur le sujet peu banal des mendiants de Dublin, tandis qu’On s’en va peut-être est mâtinée de cette relation mystique que l’homme, dans la culture indienne, entretient avec la Nature.

 

 

            Les émotions se répondent : la légèreté fait contrepoint à la gravité, l’émerveillement le dispute la tristesse. La multitude des paysages se reflète dans la variété des cultures : ici, sur terre, mexicaines, américaines, indiennes, irlandaises, anglaises, et là-haut, dans le ciel, martienne… Et ce recueil, loin des évasives « Machines à bonheur » induites par son titre, serait plus à même de porter le nom d’invitation au voyage… 21 nouvelles qui exposent donc autant de délicieuses évasions, mosaïque de lieux et d’actions déclinées sous l’accent de la poésie. Ça se lit dans un sens comme dans l’autre. Avec intermittence ou pas. On peut le laisser et y revenir. C’est écrit, tout simplement. Et c’est simplement à lire.

 

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