Joe Haldeman - Le vieil homme et son double

Publié le par Lukas

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            Je suis tombé sur le bouquin par hasard, en faisant les bouquinistes. Je connaissais Haldeman pour sa Guerre Eternelle, roman de SF bien campé qui avait valu à son auteur les prix Hugo 1975 et Nebula 1976 et qui reste dans ma mémoire un excellent souvenir de lecture. Haldeman, vétéran du Viêt-Nam, a été blessé pendant la guerre. Il semble que la littérature ait jouée un rôle cathartique dans son acceptation de cette expérience traumatisante. Le vieil homme et son double s’inscrit dans cette optique plus ou moins inconsciente, même si son objectif principal se veut autre.

           

 

            L’histoire d’une histoire d’une hisoire…

 

            L’idée de départ est tout à fait jouissive : John Baird, universitaire de son métier, éminent spécialiste d’Hemingway et écrivain à ses heures perdues, se fait un jour accosté par un escroc de petite envergure, Castle. Au fil de leur conversation, ce dernier parvient à insinuer dans son esprit une idée pour le moins farfelue : pourquoi ne pas réaliser les faux des manuscrits originaux des premiers textes d’Hemingway que sa femme Hadley a malheureusement égaré en 1922 ? Il est clair que l’érudit et l’escroc associés, mettant en collaboration leurs aptitudes respectives dans leur domaine de prédilection, pourraient tirer un certain profit d’une telle initiative… John Baird, d’abord sceptique, en vient à considérer l’idée avec un intérêt grandissant. Après avoir mis dans le coup sa jeune femme Lena, il se lance dans la réalisation d’un pastiche avec lequel il compte bien flouer ses collègues spécialistes non sans récolter un certain bénéfice financier du fruit de son travail. Entre sa mémoire eidétique et le talent de faussaire de Castle, il n’y a aucune raison que leur petite affaire ne soit rondement menée. La chose se complique lorsque, entamant les premières ébauches de son texte, John reçoit la visite…d’Hemingway en personne, qui le contraint à arrêter immédiatement son entreprise, sous peine de mort imminente…

Délire ? Hallucination ? Ou terrible réalité prémisse de l’écroulement du monde à venir ?

            La suite, à lire…

 

 

            La somme des parties dépassant le tout

 

            Oui. Alors le roman fait 240 pages, mais autant dire qu’on ne s’ennuie pas un seul instant… Haldeman a en effet fourré dans ces 240 pages une grosse pléthore d’idées. On sent l’imagination généreuse de l’écrivain qui s’exprime au travers d’un sujet qui lui tient à cœur. J’étais déjà habitué à la multiplication des thématiques propre à certains romans dickien. Cette richesse de thèmes qui a parfois tendance à submerger le lecteur (je pense notamment au Dieu venu du Centaure). On retrouve un peu ce même procédé du traitement « multidirectionnel » avec ce présent roman.

A vue de nez, trois thématiques principale et unificatrices pourraient cependant se dégager du Vieil homme et son double : un hommage à l’œuvre et la vie d’Hemingway, puisque ce dernier apparaît non seulement physiquement au cours du roman, mais que l’ombre de son œuvre plane sur chaque page. A ce thème solidement ancré dans le réel vient s’ajouter un thème directement issu de la sphère SF, puisqu’il s’agit de celui des univers parallèles. Sans vous en dévoiler davantage sur l’intrigue, il faut simplement savoir que tout le roman repose sur ce concept « d’univers parallèles » avec un John Baird ballotté de dimensions en dimensions jusqu’à s’y perdre. Au-delà de ce jeu labyrinthique se dissimule une volonté poignante d’Haldeman de réécrire l’Histoire non seulement pour justifier la perte (réelle) des manuscrits d’Hemingway disparus en 1922, mais en plus, par un subtil glissement de perspective, de s’en attribuer la rédaction (fictive). Lisez et vous comprendrez. Le troisième thème, sous-jacent, mais pourtant bien présent, est celui de la guerre. Sorte de pont lancé entre l’existence des trois véritables héros de ce roman : John Baird le narrateur, Hemingway l’écrivain, et Haldeman l’auteur… Une guerre qui les unit tous les trois… Parce que tous les trois l’ont vécue, en ont expérimenté le traumatisme, et qu’elle a profondément marqué leur conception de la vie et influé sur leur œuvre. Le tour de force d’Haldeman étant de se faire confondre au final ces trois personnages, ces trois existences qui s’unissent… Trois visages pour une seule et même personne. Qui est qui ? Mais je n’en dirais pas plus.

            A cette multiplicité thématique, il faut ajouter une succulente dose d’humour, quasi omniprésent, tant dans les dialogues que dans le comportement ou les réactions des personnages. En sus, le piment de quelques scènes érotiques tout à fait crues. C’est à dire tout à fait jouissives.

            On aurait pu redouter, avec tant d’ingrédients dissemblables mélangés, que la sauce ne prenne pas. Mais on se fourvoie… Car une alchimie toute particulière opère dès les premières pages de ce qui s’apparentait au départ à un joli feu d’artifice. La plume d’Haldeman apportant cohérence à l’ensemble ; la justesse des situations qu’il dépeint fondant une unité solide… Et une fois la machine mise en marche, impossible de s’arrêter…

 

 

            Conclusion sans contusion ou presque

 

            Petit roman de 240 pages, d’une limpidité stylistique qui fait qu’on le lit presque obligatoirement d’une traite, Le vieil homme et son double remplit à merveille son double rôle ludique et didactique. Traitant de sujets « graves » comme l’écriture, l’amour, la guerre  – certains souvenirs que John rapporte du Viêt-Nam sont d’une violence cuisante qui gifle au vol le lecteur avec d’autant plus d’impact qu’ils s’insèrent sans prévenir dans un contexte décontracté ; on les reçoit véritablement comme un coup, ou comme les éclats d’une grenades qui vient de nous péter à la gueule – sur une tonalité le plus souvent humoristique – certains passages sont vraiment hilarants –, entremêlant allègrement l’écheveau de différentes existences – celle du narrateur John Baird, celle de l’écrivain Hemingway, mais aussi celle de Haldeman lui-même –, Le vieil homme et son double est un concentré d’idées qui se déguste comme une délicieuse boule de glace fraise vanille par un chaud soir d’été quand les petits oiseaux gazouillent dans le crépuscule tombant et que l’océan froufroute sur le sable blanc pas très loin. Même si on devine que certaines coupures éditoriales ont été pratiquées dans le texte d’origine – certaines idées de l’auteur n’étant pas développées à leur mesure – on ne peut que saluer la qualité de l’ouvrage et en conseiller vivement sa découverte aux lecteurs non avertis.

            A noter que Le vieil homme et son double a remporté le prix Hugo 1990 et Nebula 1991. Ce qui est bien, quand même… Non ?  

 

 

 

 

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