Stephen King - Running Man

Publié le par Lukas

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Publié en 1982  (1988 pour la traduction française) sous le pseudonyme de Richard Bachman, Running Man est à souligner dans la bibliographie de Stephen King puisqu’il est à ma connaissance le seul roman du maître à aborder le genre science-fiction.

 

 

L’homme qui court…

 

Dans un avenir pas si lointain, la fracture sociale n’est plus un concept redouté mais une galopante réalité : les riches se partagent les richesses du monde et les pauvres la misère qu’il reste à grappiller. Le chômage dans les quartiers défavorisés atteint des sommets. La pollution engendre plus de victimes que les accidents de la route. Les enfants en bas-âge meurent prématurément de maladies respiratoires. Les ado-délinquants d’overdoses. La société part lentement mais sûrement en déliquescence à mesure que se creuse l’écart, le fossé abyssal entre les riches, et les miséreux. Pour oublier l’âpreté de leur quotidien, les gens se réfugient dans une drogue douce aux vertus abrutissantes : la télévision. Providentiel échappatoire aux coups de butoir du réel, le « Libertel » délivre en boucle des programmes mettant en scène de pauvres bougres issus des classes sociales les plus basses en train de courir au péril de leur vie – et au sens strict du terme – après quelques malheureux dollars dans l’espoir de nourrir provisoirement leur famille affamée. La mort en direct pour la majorité d’entre eux. Le gros gain pour quelques chanceux esquintés. On est bien dans la Rome de l’an 2000 : le cirque anime les foules lasses. Mais le système est ainsi fait. Et même les plus persévérants, même les plus braves, même les plus vertueux, s’ils se trouvent en bas de l’échelle, n’ont d’autre choix, en dernier recours, que d’entrer dans la danse. De faire la queue devant le « Building des Jeux ». De vendre leur corps au Libertel et donner leur âme en pâture à la foule… C’est le cas de Ben Richards, chômeur depuis de longues années, marié à Sheila, et dont le bébé tout juste né s’éteint à petit feu sans que le couple ne puisse se payer les médicaments capables de le soigner. Désespéré, Ben se livre au Libertel et, après un long tri sélectif, est retenu pour participer au jeu le plus prestigieux et le plus dangereux du réseau : « La Grande Traque ». Chasse à l’homme grandeur nature, avec, clou du spectacle, l’exécution du candidat, soigneusement dépeint, tout au long des différents épisodes, sous les aspects les plus vils du parfait criminel. Mais Ben est du genre retors. Un anticonformiste doublé d’un vrai dur à cuir (« — Vous avez, je crois, frappé le sous-directeur à la cuisse alors qu’il avait le dos tourné ? — Foutaises ! Je lui ai donné un coup de pied au cul… » P43). Le grain de sable dans les rouages de la machinerie, qui va tout mettre en branle… Car il n’est pas question pour Ben de rester au tapis : lui se trouve acculé, dos au mur. Et il n’a plus rien à perdre…

 

 

Combien vaut une vie humaine ?

 

Un milliard de nouveaux dollars. C’est l’estimation de Stephen King (Chapitre 87). Un milliard de dollars pour que Ben Richards survive trente jours consécutifs, traqué par la bande de professionnels lancée à ses trousses, dénoncé par tout bon citoyen qui se respecte. Climat paranoïaque assuré !

 

 

Quel prix faut-il payer pour que les choses changent ?

 

Cela, vous le saurez en lisant la fin du roman… Les cinq dernières phrases pour être exact…

 

 

Rien ne sert de courir…

 

Alors d’accord, le roman date quand même un peu… D’accord, la vision de l’écrivain sur cette société future n’évite pas les grands raccourcis, le manichéisme, bref, la facilité qui frise parfois la douce caricature. Certes, l’intrigue ne repose pas sur l’épaisseur psychologique des personnages – plus proches de l’archétype des héros de série Z que de l’épaisseur et de la complexité jubilatoire des protagonistes d’un Fléau, par exemple… – Certes, le style est conventionnel, impersonnel à souhait, à la limite de l’insipide, le travail sur la langue n’étant pas la préoccupation majeure de Stephen King sur ce présent roman (Running Man écrit par un Running Pen ?). On passera aussi sur certains oublis et autres incohérences (que devient Jansky, le troisième candidat retenu au jeu de la Grande Traque ? Evoqué au chapitre 88, il passe purement et simplement à la trappe puisqu’on ne recroise plus sa route par la suite...) pour ne garder que le meilleur de notre lecture…  

 

 

 

…Il faut partir à poing

 

…Et qui se résume à ces quelques points :

 

Dans Running Man, le lecteur croise quelques attachants personnages : celui de Molie Jernigan, par exemple, qui campe un vieil escroc décati de 75 ans (Chapitre 78). Celui de Bradley, aussi, jeune adolescent idéaliste, qui, sous ses airs étudiés de petit voyou, se révèle un illustre combattant de la liberté qui se bat pour faire éclater au grand jour la vérité sur la pollution mortelle que recrache les usines de General Atomic et qui contamine les populations des bas quartiers (Chapitre 63). Même si rapidement brossée, la figure de Ben Richards, le héros, demeure elle aussi attachante : sous ses airs de dur à cuir, Ben Richards affiche un contre-pied intéressant. Il est un anti-conformiste au sens propre du terme : bien qu’impulsif, il n’en est pas moins intelligent, cultivé : les trois jours d’attente qui précèdent l’inauguration de La Grande Traque, il les passe à boire, et à…lire

 

Autre qualité du roman, le rythme nerveux qui le caractérise et qui est entretenu par la mise en forme en « compte à rebours » des chapitres, ce qui donne l’impression au lecteur, au rythme des pages, de se précipiter à grand galop vers une inévitable fin. 

 

Quelques traces d’humour viennent agréablement tempérer cette atmosphère « sous pression » du roman, au grand plaisir du lecteur : les petites piques d’arrogance lancées par Ben Richards au conformisme de la société sont assez cocasses. Lors de l’enregistrement d’une vidéo – qu’il doit transmettre au Libertel quotidiennement sous peine de ne plus gagner d’argent – le héros fait un gros plan sur son postérieur découvert et siffle l’hymne nationale… Toute une symbolique ! (Chapitre 71).

 

Dernier point positif à souligner, et non des moindres, celui qui nous rend assurément la lecture de ce Running Man quasi indispensable. Je veux parler de l’aspect visionnaire de certaines idées que Stephen King expose au cours de son roman. Comment ne pas voir en effet dans ces émissions télé qui mettent en jeu des gens issus du peuple filmés dans l’activité de leur quotidien, un concept de « Télé-réalité » avant-gardiste qui ne verra le jour que dans les années 90 ? Comment ne pas voir dans le trie sélectif des candidats entrant dans le Building des Jeux le système des « évaluations » propre à des émissions on ne peut plus actuelles ? Comment enfin ne pas noter la clarté d’esprit dont fait preuve Stephen King vis-à-vis de ce média qu’est la télévision et du pouvoir pernicieux dont ce dernier peut user pour déformer le réel : Richards, honorable père de famille, qui ne demande qu’à sauver sa petite fille malade, est volontairement noirci aux yeux de l’audimat par le filtre insidieux du Libertel. Pour des raisons purement mercantiles, il doit incarner la figure emblématique du criminel en puissance, et la foule n’a que faire de la véracité de cette apparence : on lui montre ce qu’elle veut bien voir. Le pouvoir de l’image… Thème on ne peut plus d’actualité ! Un aspect visionnaire, enfin, qui s’illustre et prend toute son horrible dimension dans ce final apocalyptique, qui préfigure de manière tout à fait sidérante la date fatidique d’un certain 11 Septembre… Et rien que pour ce dernier point, il serait dommage de passer à côté de Running Man…            

 

 

Verdict ?

 

Un roman sans prétention. Peut-être pas à classer parmi les chef-d’œuvres du maître. Il effleure la science-fiction, même si pour ma part je le rattacherais plus volontiers à de l’Anticipation. Le concept demeure néanmoins haletant. Le style se veut minimaliste pour une narration incisive qui va droit au but. Ça se lit très vite. Et puis il y a ces quelques idées visionnaires qui parsèment de-ci de-là le roman, îlots bienvenus qui, assemblés les uns aux autres, finissent par nous dépeindre le paysage d’un avenir qui surprend par sa plausibilité.

 

On ne peut s’empêcher de mettre ce roman en comparaison avec un autre titre du maître, Marche ou Crève, avec lequel Running Man partage quelques similitudes notables : un protagoniste qui joue sa propre vie à un jeu, une rondelette somme d’argent à la clé, le héros avançant inévitablement vers une finalité à laquelle il ne peut échapper…  

 

A noter enfin qu’une adaptation cinématographique, réalisée par Paul Michael Glaser en 1987, a été tirée de ce Running Man. Un film très éloigné de la trame et des considérations originelles de l’œuvre littéraire, et qui ne vaut le détour que pour admirer un Ben Richards incarné par un Schwarzenegger dans toute la pétillante vigueur de sa jeunesse. 

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