Une fin

Publié le par Lukas

C’est un jardin d’enfants où les enfants s’amusent

Les tourniquets tournoient et le sable voltige.

Assises sur les bancs, les mères attentives

Surveillent leurs garnements de coups d’œil qui fusent.

 

Le fond de l’air est chaud et l’herbe paraît grasse,

Les arbres généreux déploient leur lourde masse.

Dans un ciel émaillé de quelques blancs nuages

Un vent malicieux dessine des visages.

 

Sous l’étoffe des ombres jetées sur le sol

Des couples d’amoureux demeurent enlacés.

Un petit chien aboie, et des oiseaux s’envolent,

Le maître crie suffit ! et le chiot se tait.

 

Lourde et pesante, immobile, métallique,

Au milieu du parc, la cage d’enfants

Aux barreaux d’acier froids et polis

Est là. Elle attend pour longtemps.

 

Un peu plus loin la ville bardée de dents grises

Lance à l’assaut du vide ses tours arrogantes

Et fait couler ses routes comme des flots ivres

Le long des longs trottoirs que les passants arpentent.

 

Sur les miroirs figés des façades de verre

De ces immeubles fiers coupant comme des lames

Les rayons du couchant font rougeoyer leurs flammes

En un pont de lumière qui joint ciel et terre.

 

Les enfants dans le parc redoublent de fous rires

Leurs cris d’espièglerie rigolent en cascades.

Tous ces fronts insouciants groupés autour des tables

S’ils savaient le danger, pourtant devraient frémir.

 

Lourde et pesante, immobile, métallique,

Au milieu du parc, la cage d’enfants

Aux barreaux d’acier froids et polis

Est là. Elle attend pour longtemps.

 

On ne voit pas le point qui s’ancre à l’horizon.

C’est une tache infime, une perle éphémère

Mais qui bientôt grandit dans un immense éclair

Et qui se déploie, fou, sur le toit des maisons,

Comme l’œil d’un Dieu, comme un second soleil

Qui craque le tissu, le tissu bleu du ciel.

 

Le flash incandescent imprime les prunelles,

Et les contours se fondent en un bloc de sel

Pour les regards transis, pour les yeux innocents

Qui ne voient plus le monde que dans ce cri blanc. 

 

Dans le jardin d’enfants, on n’entend plus les rires.

Les mères et les couples se sont tous figés,

Un lourd silence tombe le long des allées :

L’humanité expire son dernier soupir.

 

Lourde et pesante, immobile, métallique,

Au milieu du parc, la cage d’enfants

Aux barreaux d’acier froids et polis

Est là. Elle attend pour longtemps.

 

La vague de chaleur glisse sur l’horizon

Et submerge la ville en avalant ses sons.

Un grand rouleau de flammes balaye les foules

Dans la marée moirée de sa puissante houle.

 

Les monuments s’effritent, le granit s’effondre

Les briques deviennent sable et les vitres fondent

Les arbres solennels qui bordent les trottoirs

Se sont mués en torches d’émail et d’ivoire.

 

Dans les artères bouchées du centre de la ville

Voitures emportées roulent comme fétus

Petits fétus de fer qui remontent les rues

Croisant des lampadaires s’envolant en vrilles.

 

Lourde et pesante, immobile, métallique,

Au milieu du parc, la cage d’enfants

Aux barreaux d’acier froids et polis

Est là. Elle attend pour longtemps.

 

Les corps se désintègrent,

Les yeux se liquéfient

Les peaux partent en clocs

Les sourires s’effacent

Des faces livides.

Les orbites évidées

Fixent une éternité

A naître.

Les dents et les os saillent

Sous les tissus craqués.

Tout s’éteint dans la chaleur.

Tout s’éteint dans la lumière.

L’acier et la chair se confondent.

L’herbe et les cheveux

Retournent à la terre

En devenant poussière

Tandis que le grand feu

Emporte la fin du monde.  

 

Ce qui surprend le plus c’est ce silence dense

Qui cerne la cité aux ruines flamboyantes.

Des murs encore debout s’échappe une fumée

On dirait un flot d’âmes qui vole en nuées.

 

Il n’y a plus un bruit, tout est devenu gris

Un grand tapis de cendre enserre toute chose

Et le lacis des rues fissuré d’ecchymoses

Ressemble au labyrinthe des esprits enfuis.

 

Dans ce tableau figé où les gravats soupirent

Le soleil haut perché verse une larme d’or

Sur l’immensité vide sur les corps des morts :

L’humanité n’est plus qu’un lointain souvenir.

 

 

Lourde et pesante, immobile, métallique,

Au milieu du parc, la cage d’enfants

Aux barreaux d’acier froids et polis

Est là. Elle attend pour longtemps.

 

 

 

17-03-2011

Publié dans Poésie

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